Le 19 avril dernier, le groupe Jaguar Land Rover a fait de grandes annonces sur son futur proche. Entre les informations industrielles et économiques, très intéressantes, c’est celle de la nouvelle politique de communication « corporate » qui a retenu l’attention des passionnés.
Sur les différentes plateformes de réseaux sociaux, la soirée du 19 avril fut agitée chez les passionnés de Land Rover. Le groupe Jaguar Land Rover venait certes d’annoncer de lourds investissements (15 milliards de livres, environ 17 milliards d’euros) en direction de la technologie embarquée et de l’électrification de ses véhicules, ainsi que des premiers éléments sur la prochaine génération de Jaguar, dont une GT 4 portes 100 % électrique. Mais une autre déclaration a plus marqué les esprits, celle, pour résumer, de la mise en retrait du nom « Land Rover » au profit de celui des différents modèles de la marque.
Ainsi, dans un futur proche, la nouvelle entité JLR produira des Jaguar, des Range Rover, des Defender et des Discovery, un concept baptisé « maison de marques ». Trois personnes (Rawdon Glover, Geraldine Ingham et Mark Cameron) ont ainsi été nommées à la tête, respectivement, de la première, de la seconde et des deux dernières. Concrètement, cela ne change pas grand-chose, puisque les 4×4 anglais continueront à porter le fameux blason à l’ovale vert. Mais cette décision vient du constat, fait par le service marketing du groupe, que les modèles avaient une image plus forte que la marque en elle-même.
C’est donc surtout au niveau de la communication officielle que les choses vont changer. Il va falloir s’habituer à entendre parler du Defender, du Range Rover et du Discovery dans les publicités, affichages et autres partenariats sans que le nom de Land Rover y soit systématiquement accolé. Chaque famille de véhicules aura même son univers dédié au sein de cette communication : luxe pour le Range Rover, rugby et outdoor pour le Defender, etc.
Rappelons qu’historiquement, les appellations chez Land Rover ont toujours été source d’ambiguïtés. Le nom même de la marque ne vient que d’un surnom donné aux prototypes de la Series I lors de leur conception fin 1947 par Maurice Wilks, alors ingénieur en chef du groupe Rover : il surnommait le véhicule la « Land-Rover », soit la « Rover de la terre ». Plus tard, en 1970, le Range Rover fut lancé dans l’espoir que l’on ne voit pas trop que c’était un modèle de Land Rover. Il y eut même débat à son lancement pour l’apposition de la fameuse plaque « By Land Rover » sur sa ridelle.
Ensuite, en 1983, la nouvelle génération de véhicules remplaçant les Series III fut pendant un temps simplement appelée Land Rover 90, 110 et 127 en haut de la calandre, aboutissant au non-sens de cette publicité de l’époque : « Land Rover’s new Land Rover ». Faisons encore un saut dans le temps, en 2010, avec le lancement du Range Rover Evoque. Dans un court premier temps, aucun blason Land Rover n’ornait ce petit SUV, qui a pourtant fait le succès international de la marque anglaise. C’est le boss de l’époque, Ralph Speth, qui a imposé le retour de l’ovale vert.
Enfin, soulignons que ce n’est pas Land Rover qui est partenaire de la prochaine Coupe de Monde de Rugby (qui aura lieu en France de septembre à octobre 2023), mais le Defender lui-même. Cette stratégie est donc lancée depuis quelques temps déjà et vient seulement d’être officialisée. Elle trouve son origine dans l’apparition du nom des modèles au bout des capots au milieu des années 2010.
Quelles conclusions peut-on tirer d’un tel choix ? Que le groupe JLR tombe dans des considérations marketing que l’on a déjà vues chez d’autres marques. On pense par exemple à Dodge. Le groupe Chrysler a fait, en 2009, une réorganisation laissant à Dodge les berlines, muscle cars et autres vans, et transformant le nom Ram des pick-ups en marque à part entière. On s’éloigne donc de l’époque où les éléments de langage parlaient « d’ADN de la marque » pour souligner la fidélité des produits aux valeurs et au patrimoine de celle-ci, pour passer à la mise en avant des produits directement et leur créer une identité presque autonome.
On peut également y voir une façon de « détourner le regard » des clients de la mauvaise fiabilité qui entache la réputation de Land Rover depuis de nombreuses années et que Thierry Bolloré a commencé à assumer en 2021. On n’est pas dans le cas de figure de GDF Suez qui devient Engie, de Cogema qui devient Areva, ou encore de Vivendi qui devient Veolia pour prendre des ambitions internationales, mais aussi se racheter une image. Le but d’une telle manœuvre est avant tout d’attirer de nouveaux clients vers des noms « qui parlent », dans un contexte post-Covid où Land Rover a décidé d’acter la baisse de ses ventes, mais de vendre ses véhicules plus chers en s’orientant encore plus haut de gamme.
La marque de Solihull ne devrait donc pas prendre trop de risques avec cette nouvelle stratégie. Le clivage entre la clientèle historique de Land Rover et celle qui a les moyens d’acheter sa production actuelle est plus important que jamais, même si une petite frange de personnes appartient aux deux mondes. Elle ne se repose évidemment pas sur la première (depuis longtemps) et mise tout sur la seconde pour sa croissance.
Une dernière hypothèse, pas des moindres, pour expliquer ce changement curieux doit être lue en parallèle des mouvements des concessions Jaguar Land Rover de ces derniers temps. Le groupe JLR semble vouloir regrouper mais aussi réduire le nombre de ses points de vente. On pourrait donc être face à un cas de recadrage et de nettoyage en vue d’une mise en vente des deux marques anglaises. Après tout, Tata Motors est maintenant l’une des sociétés ayant possédé Land Rover le plus longtemps de toute l’histoire de la marque de Solihull et pourrait tout à fait chercher un repreneur après des années Covid compliquées. Les investissements annoncés sont certes colossaux et engagent Tata Motors, mais pour des sociétés de ce niveau, tout est probablement envisageable.
Pour finir, cette nouvelle ne va pas changer grand chose dans l’existence de Land Rover. Il s’agit surtout d’une restructuration corporate. Mais on est devant un cas de communication pas forcément bien géré, qui a occasionné sa part de « bad buzz » et nécessité quelques interviews d’explication dans la presse anglaise dans les jours qui ont suivi (ce qu’on peut aussi appeler du « damage control »), éclipsant les autres annonces. Et cela a le malheur de se passer l’année des 75 ans de Land Rover. Les mois et années qui viennent vont, de ce point de vue-là, être intéressants à suivre.
Pour retrouver une petite dose de l’ADN de Land Rover avec des vêtements, lisez notre article sur la gamme Exmoor Trim : https://www.landmag.fr/actus/exmoor-trim-habille-les-landistes/