Lors de l’achat d’un 4×4, il est impossible de choisir son type d’essieux préféré : le Defender a toujours eu des ponts rigides, alors que le Disocvery 3 par exemple a toujours eu des roues indépendantes. Ces choix techniques correspondent à un usage spécifique de chaque véhicule, à une configuration la plus idéale possible compte tenu de ce que le 4×4 sera amené à endurer. A ce titre, ils influent de façon décisive sur le confort, le comportement routier, la sécurité et, bien entendu, les capacités en franchissement.
Pendant de longues années de l’histoire automobile, la question ne se posait même pas : un 4×4 se devait d’avoir des ponts rigides, un choix de plus en plus rare sur les voitures classiques, mais pris au monde des camions et autres utilitaires pour sa solidité. Il s’agit dans les faits d’une « traverse » dans laquelle est installé un différentiel et qui est parcourue par deux arbres de transmission. Les roues droite et gauche y sont montées en prise directe de façon fixe et solidaire. Par leur nature de véhicules à transmission intégrale, les 4×4 doivent avoir deux essieux moteurs ; les ponts avant et arrière fonctionnent donc sur le même principe.
Jusqu’au lancement du Freelander à la fin des années 1990, les ponts rigides étaient la règle absolue chez Land Rover. Series I, II, III, Land Rover, Defender, Range Rover Classic et P38, et Discovery 1, 2 et Series II, pas un ne dérogeait à ce choix, pour le bonheur des passionnés de franchissement. Car c’est dans cette utilisation que les ponts rigides montrent le meilleur d’eux-mêmes. Un 4×4 ainsi équipé n’est pas très confortable puisqu’un choc absorbé par un côté de la suspension est transmis à l’autre côté. Un pont rigide pèse également lourd, surtout une fois en mouvement. De manière générale, il est donc associé à une suspension ferme pour soulager le travail des pneumatiques, en évitant que le poids créé par des mouvements de caisse trop importants ne vienne se rajouter à celui, non suspendu, du pont.
Cela se traduit pour les passagers par un moins bon filtrage vertical des chocs. Tout ce poids qui pèse directement sur les pneus entraîne des réactions importantes quand le 4×4 passe dans un trou, et diminue le confort. Du fait de leur mode de connexion au châssis assez simple, les ponts rigides bénéficient en revanche d’une grande liberté d’articulation, et donc de possibilités de débattements importantes, à tel point que des butées les empêchent de venir cogner contre le châssis. Et comme le pont forme un seul et même élément, quand une roue monte, le milieu du pont monte lui aussi, ce qui permet de garder une garde au sol efficace.
Sur la route, il faut différencier les ponts rigides à suspension à ressorts à lames (ceux des Series) et ceux à suspension hélicoïdale ou pneumatique (du Defender au P38 en passant par les différents Discovery avant la troisième génération). Pour les premiers, ce sont les lames qui s’occupent du guidage de la traverse, ce qui est à peu près ce qui peut se faire de moins évolué et de moins précis sur le plan technique. La barre Panhard est née pour pallier cette faiblesse : cette bielle transversale est fixée d’un côté au châssis et de l’autre à l’essieu. Les déplacements latéraux de ce dernier sont donc bridés. Avec l’arrivée des ressorts hélicoïdaux pour accroître le confort, il a fallu trouver un système pour remplacer le rôle de guide des lames. Les Land à ponts rigides avec suspension hélicoïdale se sont donc vus équipés de bras dits «poussés» à l’avant, ou jambes de force, et «tirés» à l’arrière, les tirants de pont, pour diriger leurs essieux.
Le recours à ce système a des conséquences sur la conduite 4×4. Pour franchir un obstacle, l’essieu avant a besoin de plus de puissance (pensez à une brouette que vous poussez face à une marche) alors que l’arrière «s’efface» sur la même difficulté (toujours la même brouette devant la même marche, mais en la tirant cette fois). C’est en partie la raison pour laquelle, en tout terrain, un conducteur peut inconsciemment avoir tendance à se relâcher une fois que le train avant du Land a franchi l’obstacle. Il se dit que le plus dur a été fait, alors qu’il reste en fait la trajectoire de plus de la moitié du 4×4 à négocier. C’est la simplicité de tous ces choix techniques qui permet aux amateurs de franchissement de jouer aux apprentis-sorciers, en changeant les pièces d’origine pour des versions dédiées au tout terrain : ressorts, amortisseurs, rehausse de caisse, pose de blocage de différentiel, blindages, taille des pneus et des jantes, jambes de force coudées afin de compenser les rehausses qui font pivoter le pont…
Il n’est plus question de tout cela avec la plupart des 4×4 modernes, au grand dam des amateurs de franchissement. Mais les lois de la sécurité ne sont pas celles des loisirs motorisés, et les véhicules à châssis à échelle couplé à des ponts rigides représentent des ensembles trop lourds et trop solides au sein du parc automobile courant. Les essieux libres présentent des capacités de déformation en cas de choc nettement supérieures. Mis à part pour le Defender, Land Rover a donc opté au fur et à mesure pour une transmission et une suspension par roues indépendantes pour tous les 4×4 de sa gamme actuelle, ce qui allait de pair avec la recherche de raffinement et de luxe pour ses véhicules.
Le Freelander et le Range Rover L322 sont montés en essieux de type MacPherson, un système qui utilise un combiné ressort-amortisseur et une bielle de guidage de chaque côté. Si c’est une solution intéressante économiquement (peu de coûts de fabrication) et industriellement (l’ensemble des pièces occupe une faible place), elle change la donne pour ce qui est de la conduite tout terrain. La différence avec les essieux rigides se fait surtout à vitesse élevée. Sur une piste façon tôle ondulée, une roue indépendante réagit plus vite aux déformations, sans faire subir de contrainte à la roue opposée et sans trop générer de mouvements de caisse. Les Discovery 3 et Range Rover Sport offrent même un niveau de confort supplémentaire, grâce à leur structure de châssis-coque intégré. Les éléments de suspension ne sont pas fixés directement sur la caisse autoporteuse, comme sur le Range et le Freelander, mais sur le châssis, ce qui permet un degré de filtration des vibrations encore meilleur.
C’est en revanche lors du franchissement pur que les roues indépendantes montrent leurs faiblesses. L’imbrication des pièces limite les capacités de débattement et de modification des éléments pour améliorer les performances. Il est possible de remplacer le combiné ressort-amortisseur par une version plus longue, mais les bielles de guidage et les bras de suspension travaillent dans des angles excessifs qui les détériorent. Pour compenser les faibles débattements, Land Rover a pourvu ses véhicules à suspension pneumatique (Discovery 3, Range Rover Sport, Range Rover) d’un ingénieux système de renvoi d’air. Quand une des roues monte, plutôt que de laisser l’opposée pendre dans le vide, l’air expulsé du ressort de la première est envoyé dans celui de la seconde pour la pousser vers le bas afin d’augmenter le débattement et aller chercher le sol pour gagner de l’adhérence.
Cela permet de remédier en partie à l’un des plus gros défauts des 4×4 à roues indépendantes en franchissement : la perte de garde au sol. N’étant par définition pas solidarisées, les roues montent et descendent de façon isolée et n’entraînent pas le reste de la caisse avec elles. Le dessous de la caisse est donc exposé aux obstacles et il se peut même que les deux roues d’un même essieu montent toutes les deux et que le bas moteur prenne un choc sérieux, comme lors de la descente d’une marche prononcée à vitesse trop élevée, par exemple. Le maigre avantage qui en résulte est que sur beaucoup d’obstacles, la caisse va presque rester à l’horizontale, accordant un peu plus de confort aux passagers. S’il est évident que les ponts rigides restent l’arme absolue en tout terrain, il convient de saluer l’effort de Land Rover qui cherche toujours la meilleure option franchissement pour ses 4×4 tout en prenant soin de les mettre au goût automobile du jour.
Sébastien Raffaelli (Land Mag n° 58)