Le 3 décembre 1971, bien avant le Camel Trophy donc, deux Range Rover spécialement équipés partirent d’Anchorage en Alaska pour une expédition unique : traverser l’Amérique du Nord au Sud intégralement par la route ! Un défi qui passait obligatoirement par le Darien Gap, une zone de terre étroite et sauvage qui relie les deux parties du continent, entre le Panama et la Colombie.
Le Darien Gap est un bourbier de 100 miles de long rempli de serpents que Chevrolet avait déjà tenté de traverser 10 ans avant en Corvair, mais sans succès. La Trans-Americas, organisée par l’Armée Anglaise, tentait donc de relever un sacré défi ! Les deux Range choisis pour cette aventure étaient des véhicules destinés au marché Suisse (ils sont toujours visibles : le VXC 868K, châssis 35800230A, se trouve au Heritage Motor Centre, alors que le VXC 765K, châssis 35800231A, est à la Dunsfold Collection !) avec une couleur beige Sahara d’origine. Leur préparation fut somme toute assez simple : peinture spécifique, galerie de toit et équipement ad hoc (échelles pour passer les bourbiers, roues de secours, pare-buffles), et à l’intérieur remplacement de la banquette arrière par un simple siège de Rover P6. Le but était en effet d’emmener deux équipes de trois militaires Anglais. Pour le reste le moteur était le V8 d’origine des deux Range ! Le trajet d’Alaska jusqu’au Panama fut relativement simple puisque réalisé par la route. Mais le franchissement du « Pas de Darien » (le « Darien Gap » en anglais) fut le théâtre d’une aventure incroyable : sous les ordres du Major John Blashford-Snell, une équipe d’environ 100 personnes (membres de l’Armée Anglaise mais aussi citoyens étasuniens et panaméens) entreprit le travail de dégager peu à peu un chemin pour les deux Range. L’atmosphère était tellement humide, selon les souvenirs du Major, que les habits et même l’équipement en cuir (notamment les chaussures) pourrissait presque à vue d’œil ! Gênant dans une zone infestée d’araignées venimeuses, de scorpions et autres reptiles… sans parler des moustiques !
Les véhicules souffraient également, mais d’autres maux : les différentiels avant et arrière cassaient de façon répétée. Un ingénieur de Solihull, Geof Miller, fut dépêché sur place pour voir ce qui se passait, et découvrit que les militaires transportaient dans les Range encore tout l’équipement embarqué pour le froid en Alaska, de même que les bateaux gonflables prévus pour franchir quelques bourbiers impénétrables, accompagnés de leurs moteurs, tout un stock d’uniformes, etc. « Les Range étaient incapables de franchir des pentes de plus de 30% » se souvient-il… « J’ai fini par faire enlever tout ce matériel inutile ». Par ailleurs, les militaires de l’expédition n’avaient reçu aucune formation en conduite 4×4 et « insistaient lourdement » en cas de plantage, ce qui provoquait là aussi de sérieuses casses mécaniques.
À force de travail (30 membres de l’équipe durent être hospitalisés, il faut dire que les opérations de déblayage inclurent même l’utilisation de dynamite…), une piste put finalement être tracée dans la jungle (avec notamment l’aide d’une Serie II 88″ qui faisait office d’éclaireur), et le 23 avril 1972 les deux Range Rover rejoignirent finalement la route Panaméricaine, coté sud du continent Américain ! Le chemin jusqu’en Terre de Feu fut comparativement un jeu d’enfant…
Mais l’aventure ne termina pas là pour les deux Range : renvoyés en Angleterre, ils furent entièrement démontés et même découpés pour être inspectés de fond en comble, de façon à voir comment le châssis, la transmission et la carrosserie avaient « travaillés » durant l’expédition. Le pétrolier Duckhams s’occupa de son coté d’ouvrir les V8 afin d’analyser là aussi leur usure… Une fantastique expédition, qui allait visiblement donner le goût à Land Rover des défis impossibles à relever…